Expertise

Observatoire des Pratiques Langagières Actuelles (OPLA)

Projet Observatoire des Pratiques Langagières Actuelles (OPLA)

Le projet Observatoire des Pratiques Langagières Actuelles (OPLA) a pour objectif de renseigner l’actualité sociale et culturelle de locuteurs/trices francophones par le prisme de leurs pratiques langagières. Il souhaite également contribuer à l’évolution des pratiques d’enseignement du français vers davantage de cohérence avec les réalités langagières telles qu’appréhendées par les élèves/apprenants.

L’objectif principal du projet est la constitution d’un corpus de données orales et écrites, recueilli sur différents terrains (France métropolitaine, Antilles françaises, Haïti, Suisse), chacun caractérisé par des problématiques sociolinguistiques propres afin d’illustrer des usages ordinaires dits « non-standard » en s’appuyant sur l’expérience d’un précédent projet, Multicultural Paris French(MPF) (Gadet, 2018).

Une des qualités du corpus MPF est d’être constitué de données « écologiques » et d’entretiens qui se complètent en permettant des analyses qui tiennent compte des représentations approchées par la mise en regard du déclaratif lors des entretiens et l’usage spontané de la langue. Le corpus OPLA s’inspirera de cette démarche pour ce qui est de la constitution du corpus et élargira la perspective en visant une application à l’enseignement du français.

Quel que soit le contexte dans lequel la langue française est un objet d’enseignement/apprentissage, il n’est pas question de mettre en cause la nécessité sociale de transmettre une norme de référence dont la légitimité fétichisée transcende les particularismes locaux. Pour autant, aujourd’hui plus que jamais, les enseignant-es et les formateurs/trices doivent avoir accès à des « savoirs savants » qui portent sur l’actualité langagière appréhendée par les élèves/apprenant-es au quotidien dans les échanges ordinaires. C’est ainsi que les premiers seront en mesure de proposer aux seconds des « savoirs enseignables » qui n’excluent pas les locuteurs et leurs usages de la description de la langue, sans quoi elle ne peut qu’être perçue comme une langue morte. Le corpus issu du projet OPLA servira ainsi de base à l’élaboration d’une plateforme numérique à l’adresse des enseignant-es et des formateurs/trices permettant la consultation des données à des fin pédagogiques.

La finalité du projet est au moins de trois ordres :

  1. Dans un souci patrimonial, le corpus permettra l’archivage de données illustrant un état de la langue française situé.
  2. À des fins scientifiques, les données et leurs métadonnées seront recueillies et constituées en corpus afin d’être mises à disposition de chercheurs issus des différents champs des sciences humaines (au-delà des seuls membres de l’équipe OPLA).
  3. Pour servir l’enseignement, la constitution du corpus se fera en dialogue avec les acteurs du monde scolaire et de la formation linguistique afin que les données puissent constituer un matériau exploitable notamment pour travailler le développement des compétences sociolinguistique et pragmatique, indissociables du développement de la compétence linguistique.

 

Coordinatrice scientifique du projet : Emmanuelle Guerin (Professeure - USN, DILTEC).

Équipe pour la France métropolitaine :

Responsable : Emmanuelle Guerin (Professeure - USN, DILTEC)

Fabrice Barthélémy (Professeur - USN, DILTEC)

Margot Cavazzin (Doctorante - USN, DILTEC)

Françoise Gadet (Professeure émérite - U. Nanterre, MoDyCo)


Équipe pour les Antilles françaises :

Responsable : Frédéric Anciaux (Professeur - U. des Antilles-Guadeloupe, CRREF)

Lambert-Félix Prudent (Professeur émérite - U. des Antilles-Guadeloupe, CRREF)

Noémie François-Haugrin (Doctorante - U. des Antilles-Guadeloupe, CRREF)

Jean-Fabrice Ondo (Doctorant - U. des Antilles-Guadeloupe, CRREF)

Olivier-Serge Candau (Maître de conférences - U. des Antilles-Guadeloupe, CRREF)

Jean-David Bellonie (Maître de conférences – U. des Antilles-Martinique, CRILLASH)


Équipe (en construction) pour la Suisse :

Responsable : Roberto Paternostro (Maitre d'enseignement et de recherche - U. de Genève, ELCF & Maison des Langues)


Équipe pour Haïti :

Responsable : Rochambeau Lainy (Professeur - U. d'État d'Haïti, LangSÉ)

Renauld Govain (Professeur - U. d'État d'Haïti, LangSÉ)

Guerlande Bien-Aimée (Docteur - U. d'État d'Haïti, LangSÉ)

 

Présentation du volet suisse du projet (OPLA-CH)

Le paysage sociolinguistique de la Suisse constitue un observatoire privilégié du français en situation de contact et représente un terrain fécond pour le développement d’approches didactiques adaptées aux situations plurilingues et multiculturelles (voir Lüdi & Werlen, 2005). En effet, le français est en Suisse à la fois langue première (FLM/FL1), pour la Suisse romande, langue seconde (FLS), pour les locuteurs bilingues, pour les migrants installés de longue date et pour ceux qui utilisent régulièrement le français dans leurs pratiques de socialisation et de travail, et langue etrangère (FLE) pour les locuteurs des autres langues nationales et pour les migrants nouvellement arrivés. Cette tripartition, cependant, ne rend compte que partiellement des situations de contact, qui ont pour effet de complexifier la notion de frontière, ce qui n’est pas sans conséquences pour l’enseignement du français (voir Paternostro, 2019).

À cette complexité s’ajoute la question délicate de la relation entre norme locale, régionale/nationale et internationale, d’une part, et de son enseignement, d’autre part. Si, comme le suggèrent Racine et al. (2013), en Suisse romande coexistent plusieurs références normatives, qui voient le français parlé à Genève et, plus globalement, dans l’arc lémanique, comme une sorte de standard suprarégional, à côté d’une norme locale, liée au territoire et au canton d’origines, et d’une norme internationale communément associée au français hexagonal voire parisien, le choix de la norme pédagogique constitue un enjeu essentiel, susceptible d’influencer significativement les pratiques (socio)linguistiques des locuteurs/trices (enseignant-es, mais aussi apprenant-es), compte tenu du fait que le contexte éducatif est d’autant plus sensible à la question de la norme linguistique et du prestige social.

Chiss (2011 : 12) affirme, en effet, que la culture française du langage se caractérise par un « conflit de représentations », un clivage entre l’uniformité de la norme et l’hétérogénéité des usages. Dans ce contexte, Auger (2007 : 122) ajoute que « l’enseignant est bien en peine de trouver une posture. Il est censé agir en linguiste, en instructeur de la forme décrite ; et, en même temps, en tant que locuteur, il perçoit les marchés linguistiques et mesure l’écart qui existe entre les pratiques de ses apprenants et la norme à enseigner ».

Cette « tension normative » est amplifiée par les caractéristiques géographiques et socio-politiques propres du territoire genevois, une quasi-enclave suisse en territoire français, fortement marqué par le travail transfrontalier et comportant un nombre important d’étrangers/ères, qui constituent environ 40% de la population genevoise, ce qui contribue à accroître la diversité linguistique et culturelle et à banaliser les phénomènes de contact.

Ce conflit normatif, en particulier dans le contexte éducatif, risque de se poser différemment, en revanche, dans une autre région de la Suisse telle que le canton italophone du Tessin. Dans cette région, le français jouit du statut de langue nationale, comme partout ailleurs sur le territoire helvétique, mais il constitue aussi une langue de choix, la première langue étrangère apprise à l’école, avant l’allemand et l’anglais (voir Paternostro, 2019). Cependant, ce rapport particulier au français ne se traduit pas forcément par un attachement à la norme régionale suisse romande, l’enseignement scolaire se reléguant, dans les faits, la plupart du temps au français hexagonal/parisien.

Le volet suisse du projet OPLA se concentrera donc sur l’observation et l’analyse des pratiques langagières actuelles telles qu’elles se donnent à voir dans les contextes formels d’enseignement-apprentissage dans la région genevoise et au Tessin, à des publics allophones variés : des étudiant-es étrangers/ères apprenant le français à l’Université de Genève, des migrant-es apprenant le français dans des milieux associatifs, des professionnel-les apprenant le français dans des écoles privées, des élèves apprenant le français dans les écoles tessinoises. Le but du corpus recueilli en Suisse est donc essentiellement d’observer – à travers l’analyse des pratiques langagières actuelles – la manière dont s’articule et se négocie la relation entre norme internationale et locale/régionale dans le contexte de l’enseignement du français langue seconde et étrangère, dans un contexte de brassage linguistique et culturel tel que Genève, où travaillent notamment de nombreux enseignant-es transfotaliers/ères, et le Tessin, région italophone périphérique, où le français est souvent enseigné sans tenir compte de son caractère « endogène ».

Dès lors, ces enregistrements de situations de classes auront un caractère essentiellement écologique et seront idéalement complétés par des entretiens avec des enseignant-es, afin d’élucider leur relation à la question de la norme, de documenter leurs représentations en la matière et d’observer les concordances et les éventuelles discordances entre leurs discours et leurs pratiques.

Les enregistrements genevois et tessinois seront idéalement complétés par des données collectées dans des situations similaires sur les autres sites adhérant au projet, afin d’assurer une vision plus élargie de la problématique dans une perspective francophone.

Le corpus suisse viendra, in fine, alimenter les réflexions et l’élaboration de perspectives didactiques d’adaptation de l’enseignement du français dans des contextes plurilingues et pluriculturels et contribuera à mettre en place des pistes d’exploitation didactique des corpus recueillis dans le cadre d’OPLA. Il viendra également enrichir l’analyse de la spécificité sociolinguistique des territoires francophones caractérisés par une grande diversité sociale et culturelle, afin de mette en évidence la part langagière de la construction et de l’expression des identités et des rapports sociaux ainsi que de leur prise en compte dans les situations d’enseignement.

 

Références

Auger, N. (2007). L’enseignement-apprentissage de la langue française en France. Dé-complexifier la question. Diversité, ville, école, intégration, 151, pp. 121-126.

Chiss, J.-L. (2011). « Quel français enseigner ? Question pour la culture française du langage ». In : Bertrand, O. et Schaffner, I. (éd.), Variétés, variations & formes du français. Paris : Éditions de l’École Polytechnique, pp. 11-18.

Gadet, F. (2018) Les parlers jeunes dans l’Île-de-France multiculturelle. Paris : Ophrys.

Lüdi, G., Werlen, I. (2005) Le Paysage linguistique en Suisse. Recensement fédéral de la population 2000. Neuchâtel : Office fédéral de la statistique.

Racine, I., Schwab, S. & Detey, S. (2013). Accent(s) suisse(s) ou standard(s) suisse(s)? Approche perceptive dans quatre régions de Suisse romande. In Falkert, A. (éd), La perception des accents du français hors de France. Mons: Éditions CIPA, pp. 41-59.

Paternostro, R. (2019) Continuités et discontinuités dans l'enseignement du français en Suisse italienne : quelle place pour la variation dans les contextes complexes ? In : L., Gajo, J.-M., Luscher,  I., Racine & F., Zay (dir.) Variation, plurilinguisme et évaluation en FLE. Berne : Peter Lang, pp. 33-46.